Il s'est avéré, au cours du voyage, que prendre des photos nous a été largement reproché, voire même, parfois, empêché! Au point de nous culpabiliser de vouloir garder des souvenirs en appuyant sur le déclencheur. Nous avons été réduits, certaines fois, à sortir l'appareil photo en cachette, le plus discrètement possible, l'un surveillant les alentours pendant que l'autre, au comble du stress et de la précipitation, prenait une photo sans pouvoir prendre le temps de bien cadrer! Avouez que c'est une réelle déconvenue pour le voyageur-photographe-en-herbe! D'où la naissance de ce petit entrefilé qui se veut littéraire...
Avant d'aller plus loin dans notre abyssale réflexion (et de nous jeter ensuite à corps perdu dans un débat musclé), examinons quelques exemples concrets qui reflètent la situation et mettent en lumière le problème (encore un peu obscure).
Ainsi en Cappadoce, dans les monastères troglodites, au milieu des "cheminées de fées", où, au VII siècle, se réfugiaient les moines byzantins fuyant les armées arabes (ne nous égarons pas, le sujet qui nous occupe se déroule, lui, à l'heure actuelle), les touristes se sentant tout à coup investis d'une mission de sauvegarde du patrimoine archéologique (sans bien entendu avoir la moindre qualification en ce domaine), nous sermonnaient vertement en nous voyant prendre des photos d'intérieur, sans flash, avec trépied. "Vous abîmez le patrimoine!" nous lanciaent-ils d'un air indigné sans prendre la peine de réfléchir deux secondes à l'énormité de cette déclaration. En quoi l'ouverture d'un diaphragme abîmerait-il quoique ce soit? S'il y a bien quelquechose qui dégrade ces superbes fresques, ce sont plutôt ces hordes de touristes que déversent des cars entiers à longueur de journée et qui viennent se serrer contre la roche de ces espaces exigus provoquant ainsi une fluctuation de la température intérieure et du taux d'humidité...
Autre lieu, autre symptôme. Dans une église à Beyrouth, Christophe s'est vu remonter les bretelles (de cuissard vélo!) car il avait dépassé une ligne jaune peinte sur le sol. Ok pour prendre des photos mais seulement de derrière la ligne svp! Nous serions-nous mépris? Serait-on entrain de faire la queue à la poste??? Non, non, nous sommes bien dans une église. Attention danger: tout est sacré...
Enfin, en Egypte, photographier l'intérieur des tombes pharaoniques, richement décorées de hiéroglyphes, est interdit...jusque là, on suit (quoique...). Mais les gardiens s'empressent de vous proposer de prendre quand-même des photos, qui plus est avec flash (!), en échange d'un petit bakchich...Alors que vous ne demandiez absolument rien! Vous étiez justement plongé dans la lecture de votre guide préféré dans le but évident de trouver où combler un petit creux tout à l'heure!...
Mais le plus révoltant reste encore à l'intérieur de certains musées (grecs notamment) dont les recteurs, magnanimes, autorisent la prise de photo sans flash, dans les recoins obscures, mais interdisent que l'appareil photo soit autrement que tenu à bout de bras. Sachant que, dans ces conditions de luminosité, seul un long temps de pause (quelques secondes) peut permettre une photo réussie, obliger l'appareil d'être tenu à bout de bras équivaut à obliger de prendre des photos complètement floues et, par conséquent, sans aucun intérêt. "Photos sans flash autorisées. Mais avec obligation de les rater, merci." pourrait être inscrit à l'entrée de ces musées. Il y en a que, visiblement, l'hypocrisie n'étouffe pas...
Et, pour rire, un dernier petit exemple. Nous avons assisté, à deux reprises, en Grèce, à une scène totalement grotesque. Deux touristes, voulant garder un souvenir ludique de leur voyage, se prenaient en photo à côté d'une statue d'Apollon en bronze, celui étant sur la photo imitant l'allure de la statue. Ce geste à peine esquissé provoqua un branle-bas de combat dans les rangs des gardiens du musée qui, outraient d'un tel outrage, s'empressaient d'empêcher l'imitation ludique et d'hurler "FORBIDDEN! FORBIDDEN!". Pour le plus grand étonnement des deux honteux touristes ainsi fustigés, s'éloignant le profile-bas. Mais, au fait, qu'ont-ils fait de mal? Peut-être, un jour, les touristes japonnais devront-ils être en complet-veston pour se faire prendre en photo au pied de la Tour Eiffel afin de ne pas manquer de respect à une telle oeuvre d'art?...
On le voit, que les réactions soient stupides, absurdes ou lamentables, ces situations sont navrantes...et très très pénibles pour le photographe en herbe qui les vit avec émotion.
A ce stade, un rappel s'impose: la photo ne tue personne, elle n'abîme pas non plus! Certains se complaisent à dire que le flash abîme...ce n'est pas prouvé et, quand bien même, l'humidité dégagée par l'haleine des visiteurs, lorsqu'ils sont en nombre, cause de bien plus grand dégâts. de toutes facons, dans notre cas, nous n'utilisons JAMAIS le flash. A l'image de certaines peuples d'Afrique Noire qu'il ne faut pas photographier sous peine de les voir accablés car ils croient que lorsqu'on les prend en photo, on leur vole leur âme, il semblerait que certains responsables de musées aient peur que la prise de photo leur vole leurs oeuvres d'art...
Les appareils photo ne sont donc pas des objets dangereux dont le maniement mystérieux peut provoquer des catastrophes! Qu'on se le dise...Nous ne comptons plus le nombre de fois où des personnes, on ne peut plus occidentales, se sont penchées sur nous d'un air intrigué et suspicieux, alors que nous étions entrain de faire des réglages! Ne vous méprenez pas: elles n'en sont pas reparties rassurées, loin s'en faut, losqu'elles ont compris de quoi il s'agissait!!!
Si l'on réfléchit deux minutes, on se rend compte que ces interdictions (lorsqu'elles sont officielles) ont, en réalité, un but inavoué flagrant: le touriste est un consommateur. Enfin il est considéré comme tel. Et l'empêcher de prendre des photos rend une industrie très prospère: celle des cartes postales et autres bouquins vendus sur place...C'est donc une incitation déguisée à l'achat de produits dérivés (même tactique que pour les grosses productions cinématographiques où l'on vous vend le tee-shirt à l'effigie du héros et autres babioles). Mais, alors, si on pousse le raisonnement un chouia plus loin, on en arrive à la constatation navrante suivante: le touriste qui va dans un musée ou un site archéologique est considéré comme le même que celui qui va à disneyland (bien que je n'ai rien contre disneyland!)...On lui trace la voie, toute initiative de sa part est bannie. Quelle horreur! Un visiteur de musée qui réfléchit? Pensez-vous...
Finalement, dans tout cela, on encourage le tourisme de masse (dans le sens négatif du terme, vous l'aurez deviné) au détriement du pauvre petit voyageur sympathique qui s'intéresse à l'Histoire et à la culture du pays et, dans ce but, qui voudrait photographier, en gros plan, un petit détail d'une stèle pour la comparer à un bout de frise qu'il a eu l'occasion de contempler quelques semaines auparavant dans le pays voisin, et qui a des carcatéristiques communes...Interdit de réfléchir et, finalement, interdit de se cultiver. Car allez retenir les splendeurs d'un musée immense que vous visitez en deux heures...Sans avoir pris de photo, un an plus tard, il ne vous en restera qu'une très vague idée. Sans parler de la discrimination que représente une telle mesure! Ainsi, il nous a été impossible de faire partager de nombreuses merveilles, que nous avons eu l'occasion de voir, aux résidents de la maison de retraite qui suivent ce voyage via internet et à qui nous envoyons nos photos...Avouez que le seul terme qui vient à l'esprit est "dommage"!
Alors pour conclure cette passionnante révolte, redisons haut et fort que prendre des photos, c'est éclaircir ce qui nous plait, ce qui nous intéresse (nous et pas le voisin!). C'est prôner un tourisme actif et non pas un troupeau de moutons en visite. C'est être cérébré tout simplement! Qui a dit "photos interdites"? Qui?...
Pour ceux qui auraient suivis jusqu'ici notre prose et qui s'interrogeraient sur le cas des photos de rue, dont nous n'avons eu le temps de discuter, le post-scriptum leur est dédié. Même problème dans la rue où sortir son appareil photo relève du défi. On risque de se le faire violemment reprocher ou, pire, arracher. Mais c'est une autre histoire...